En tant qu'anthropologue, j’ai l’habitude de parler aux gens et d’essayer de
découvrir ce qu'ils pensent de certaines choses tout en essayant d'éviter le
piège de retrouver dans leurs réponses mes propres idées préconçues. Il y a de
nombreuses personnes bien mieux équipées que moi pour étudier le culte sorcier
mais, aussi loin que je sache, personne ne le fait. Cette étude devrait être
faite rapidement avant que la plus grosse part de cet ancien savoir soit perdue.
J'ai l’avantage d’avoir été initié dans un coven sorcier britannique et je suis
donc en mesure de parler à des sorcières initiées et de leur demander ce
qu’elles pensent. Elles peuvent me faire confiance, je ne parle pas de choses
qu’elles ne voudraient pas qu’on divulgue, car les sorcières croient vraiment en
leurs propres pouvoirs et pensent qu’il serait dangereux que des non-initiés se
servent à mauvais escient de leurs méthodes. Elles honorent leurs dieux et ne
souhaitent pas que leurs noms soient connus de tous ou qu’on s’en moque. Elles
respectent, en fait, le commandement : « Tu n’emploieras pas le nom de ton dieu
en vain ». En étudiant le culte sorcier, je ne peux parler que des sorcières
britanniques, car ce sont les seules que je connaisse assez bien et qui me font
assez confiance pour me dire la réalité à leur sujet. En outre, je pense que ce
qui a influencé les sorcières britanniques a également pu influencer les
sorcières de la plupart des autres pays européens.
Au début, j'ai pensé qu’il s’agissait juste de savoir ce que faisaient et
croyaient les sorcières, puis de voir quelle race ou tribu faisait ou croyait la
même chose. Mais, quand j’ai commencé à considérer cela de plus près, j’ai
constaté que de nombreuses personnes faisaient et croyaient tout ou partie de ce
que font et croient les sorcières. Dans certains cas, il peut s’agir de
coïncidences, mais cela fait trop de coïncidences et je sais que la «
coïncidence a tué le professeur » ; ainsi, j’ai continué jusqu’à ce que je
commence à entrevoir un schéma. Les gens faisaient des choses et croyaient des
choses parce qu’il était normal de faire et croire ces choses et cela signifie
que ces choses étaient probablement vraies.
Comme les troupeaux d'éléphants sont menés par une femelle colérique,
d’anciennes tribus de chasseurs étaient dirigées par une matriarche,
c'est-à-dire que la femme la plus forte et au caractère le plus trempé régnait
sur la tribu et les hommes. La matriarche et ses filles restaient à la maison et
elle gouvernait la tribu car c’était sa magie qui a faisait la tribu. Elle
faisait les bébés. Il y a des tribus primitives qui ont maintenu de tels
concepts de nos jours. Earl Russell, commentant le travail de Malinowski «The
Sexual Life of Savages in North-West Melanesia », précise qu'il n'y a pas de mot
pour désigner le « père » dans la langue des habitants des îles Trobriand parce
qu'un tel concept n'existe pas pour eux. Charles Seltman, dans son livre « Women
in Antiquity » (Pan Books, 1956), dit : « Les missionnaires ne pouvaient pas
leur inculquer une telle idée ni le mot. Ils furent forcés d'enseigner aux
insulaires comment se passait la procréation, ce que ces gens heureux ont rejeté
en riant car tout cela n’était que non-sens ». Mais un chasseur vigoureux et
curieux a découvert que l'histoire de la matriarche qui faisait les bébés grâce
à un buisson de groseilles à maquereau ou grâce à sa propre magie ou encore pour
une autre raison qu’elle pouvait mettre en avant, n’était pas vraie. Il a vu
qu'il y avait trop de coïncidences et que ces coïncidences produisaient des
bébés et il a remarqué qu'il était lui la coïncidence et que la tribu pouvait
donc dépendre de lui. Les femmes plus jeunes ont été charmées par cette
découverte et elles ont commencé à lui donner de l’importance et à penser qu’il
pouvait être quelqu’un d’agréable. Mais cela a tout de même pris un temps assez
important pour que la règle de l’ancienne matriarche cède le pas au patriarcat,
pour que la compréhension du mode de procréation mette au premier plan le mâle,
la déité phallique qui « Ouvre la Porte de Vie ». La Grande Mère a acquis un
partenaire, mais il n'était pas encore son seigneur.
Entre l'idée de la jeune femme qu’il aimait et la vieille femme qu’il craignait,
l’homme a trouvé une déesse à adorer. Une déesse qui l’aimait, le protégeait et
parfois le punissait. Ces psychologues modernes, qui appartiennent à l'école de
C.G. Jung, nous disent qu’il y a des concepts primordiaux que Jung appelle des «
archétypes » enterrés profondément dans ce que les psychologues appellent
l’inconscient collectif de l'humanité. Jung définit ces « archétypes » comme des
« prédispositions à réagir héritées » et qu’« elles sont peut-être comparables
au système fondamental d'un cristal, qui prédétermine la formation cristalline
dans la solution saturée, sans posséder lui-même d’existence matérielle ». Nous
pourrions les appeler « des images primordiales ». Jung définit deux de ces
archétypes les plus opérants qui résident dans les profondeurs mystérieuses de
l’inconscient de l’homme : « La Grande Mère » et « Le Vieil Homme Sage » et,
d'après la description qu’il en donne dans ses travaux, ils sont assurément
identiques à la Déesse et au Dieu du culte sorcier. Le Dr Jolan Jacobi, dans «
The Psychology of C. G. Jung », dit : « Ils sont bien connus dans le monde des
primitifs et dans la mythologie sous leurs bons et mauvais aspects, sous leurs
aspects de lumière et de ténèbres. Ils sont le magicien, le prophète, le mage,
celui qui guide les morts, le guide ou la déesse de la fertilité, la sibylle, la
prêtresse, la Sage, etc…. Une puissante fascination émane de ces deux figures …
». Ce sont précisément les déités des sorcières et ce fait qui peut être un
indice menant à l’explication du mystère de la persistance étonnante du culte.
wica wicca Gerald Gardner